commentaire composé lecture analytique Marguerite Duras Le ravissement de Lol V. Stein retour à T. Beach, le voyage à T. Beach, la scène de bal
Marguerite Duras publie Le ravissement de Lol V. Stein en 1964. Ce roman met en scène un personnage qui reste un mystère pour la romancière elle-même qui déclare que « personne ne peut connaître Lol V. Stein, ni vous, ni moi ». Pourtant, alors que cette simple phrase nous conduirait à lire le roman, le lecteur entre dans une sorte de spirale troublante et se prend à se perdre aussi au jeu de découvrir la véritable identité de Lol V. Stein.
L’extrait qui fait l’objet de notre étude se situe à la fin du roman. Le narrateur a tenté durant toute l’œuvre de comprendre l’histoire le Lol V. Stein. Il est allé jusqu’à s’incruster dans la mémoire de Lol afin qu’elle ait la sensation qu’il fait partie lui-même du souvenir. Le narrateur retourne sur le lieu du bal de T. Beach, un évènement marquant dans la vie de la jeune fille en espérant que cela pourra lui permettre de comprendre qui est véritablement Lol même si pour certaines personnes comme Tatiana, cet évènement n’est pas réellement à l’origine du trouble de Lol V. Stein.
Je vais vous proposer une lecture du texte
Ainsi, nous nous demanderons + problématique donnée par le professeur
Après avoir étudié… (annonce du plan)
- Le voyage à T. Beach, un acte réparateur ?
- Le rôle du narrateur auprès de Lol V. Stein
- Pronom « nous » importance du narrateur dans cet extrait qui fait partie intégrante de la réminiscence alors qu’il n’était pas là le jour de l’évènement.
- Pourtant, il y a une sorte de reconnaissance du lieu de la part du narrateur comme l’atteste la présence du champ lexical de l’espace « une salle assez grande », « des tables entourent une piste de danse ». L’adverbe « concentriquement » est mis en valeur en tête de phrase afin de renforcer l’image du cercle propre à l’œuvre (la piste, le cercle amoureux dont Lol a été exclue avec l’arrivée de Anne Marie Stretter, ou encore le cercle de la réminiscence ou encore le cercle comme prison dans laquelle Lol s’enferme). On retrouve aussi d’autres éléments de décor qui caractérisent la scène de bal « les rideaux rouges », « le promenoir bordé de plantes vertes », « une table recouverte d’une nappe blanche ».
- A force, le narrateur devient lui-même acteur de la réminiscence au point que nous finissons par voir la scène à travers ses yeux et non à travers ceux de Lol. Ainsi, le narrateur s’implique largement en utilisant le pronom « je » à de nombreuses reprises et va même jusqu’à utiliser cette métaphore synonyme de fusion « j’essayais d’accorder de si près mon regard au sien que j’ai commencé à me souvenir, à chaque seconde davantage, de son souvenir ». De plus, le recours à un narrateur en point de vue interne rend totalement inaccessible la pensée de Lol et renforce l’idée que le narrateur est essentiel à la redécouverte de ce lieu.
- A la recherche de traces du passé
- Le narrateur semble avoir trouvé une preuve de la réalité du passé de Lol comme le montre l’utilisation de la phrase affirmative « une trace subsiste ». Toutefois, elle est tout de suite remise en question par l’utilisation de la phrase interrogative, du connecteur d’opposition « mais » et par le recours à la forme négative comme le montre cet enchaînement de phrases « Une trace subsiste. Une. Seule, ineffaçable, on ne sait pas où d’abord. Mais quoi ? ne le sait-on pas ? Aucune trace, aucune ». De plus, la métaphore « tout a été enseveli » fait référence à la situation balnéaire de la ville de T. Beach. Le sable semble avoir envahi l’espace du souvenir avec le temps.
- Ainsi, le narrateur est en proie à une véritable recréation de son souvenir. Cette recréation est totale car elle convoque le sens de l’ouïe et rend la scène animée « j’ai entendu les fox-trot », « une blonde riait », « un crépitement » « des cris de mère », « un calme monumental ». A cela s’ajoute l’utilisation du présent de narration « se produisent », « arrive », « subsiste » qui prenne la place des temps du passé (notamment l’imparfait « riait » qui s’est lui-même transformé en passé composé « est arrivé ») afin de montrer combien le souvenir devient réel et reprend vie. De plus, tout l’extrait est raconté avec de nombreuses métaphores montrant la richesse de la vision du narrateur « la vaste et sombre prairie de l’aurore arrive », le couple associé à un « bolide lent », une métaphore filée par l’utilisation du mot « accident » un peu plus loin, ou encore la métaphore « mâchoire primaire de l’amour » qui donne l’image du carnassier, du dévorant, de quelque chose qui peut broyer.
- Le sens de cette scène pour Lol
- La compréhension de ce que Lol perçoit est rendu difficilement perceptible pour le narrateur et pour le lecteur lui-même. Le personnage semble à la fois présent et absent de la scène. En effet, l’omniprésence du champ lexical du regard nous fait hésiter sur la complète reconnaissance du lieu « Elle ne me voit pas venir. Elle regarde par à coups, voit mal, ferme les yeux pour mieux le faire les rouvre ». De plus, l’aspect paradoxal de la phrase (ouvrir les yeux pour mieux les fermer afin de mieux voir) rend le moment encore plus mystérieux. Ainsi, on se demande si Lol perçoit réellement quelque chose.
- Pourtant des expressions comme « son expression est consciencieuse, butée » ainsi que la banalité avec laquelle elle répond à l’homme « oh ! dix ans » sembleraient montrer qu’elle semble parfaitement se souvenir. Cependant, les adverbes « indéfiniment » et « bêtement » corrélés au verbe « revoir » inscrivent la réminiscence dans un acte mécanique alors que le narrateur semble affirmer que cette réminiscence échappe au souvenir de tous « ce qui ne peut se revoir ».
- Un dénouement atypique
- L’étrangeté des personnages
- L’attitude des personnages semble étrange dans cette scène. Tout d’abord cet homme, sans identité, qui a tout vu, sait tout, dit avoir assisté à la scène comme il l’affirme « j’étais là ». Ce même homme renforce le mystère de la scène. Il devient une sorte de metteur en scène en contribuant à la découverte du lieu. Ainsi, il est le seul à agir comme le montre l’utilisation des verbes d’action dans les expressions qui lui sont rattachées « L’homme lâche le rideau », « l’homme marche, va et vient derrière le rideau du couloir, il tousse, il attend sans impatience », « l’homme éteint », « l’homme attend derrière les rideaux ». Cet homme est lui aussi présent sans l’être, assiste à la réminiscence sans vraiment y participer ce qui renforce son étrangeté.
- Le narrateur lui aussi est très étrange dans cette scène. Tout d’abord, il adopte l’attitude de Lol comme nous l’avons évoqué mais il se met également à avoir des attitudes et des remarques étranges « J’enlève l’alliance, je la sens, elle n’a pas d’odeur, je la remets ». On constate que cette alliance intéresse particulièrement le narrateur car elle est responsable d’une « cicatrice » comme l’atteste la comparaison « Je joue avec son alliance. Dessous la chaire est plus fine… comme celle d’une cicatrice ». De même, cette attirance étrange se manifeste à travers l’hypallage « la mortelle fadeur de la mémoire de Lol V. Stein ».
- Mais c’est surtout Lol qui reste particulièrement étrange dans ce passage. Une fois de plus, elle reste énigmatique et insaisissable au point de devenir objet de curiosité pour ses pensées elles-mêmes « je me suis souvenu d’évènements contigus à ceux qui l’avaient vue ». Cette tournure place Lol en position objet et propose une idée étrange : les pensées seraient spectatrice de Lol et non l’inverse comme normalement c’est le cas dans une vision.
- Un état incertain
- La vérité de l’évènement se situe dans le croisement des témoignages, comme une vision kaléidoscopique. Ainsi, l’homme (dont l’identité n’est pas donnée) qui permet l’accès au lieu, a lui aussi une vérité concernant cette scène et cette histoire. La phrase déclarative à l’imparfait « j’étais là » et son attitude « reconnaît », « cette reconnaissance », le mot « pardon » et le jugement du narrateur le concernant « il doit savoir le reste de l’histoire aussi » renforce l’incertitude liée à ce souvenir. En effet, l’homme est-il un véritable témoin ou se nourrit-il d’une histoire fantasmée à force d’être racontée dans toute la ville de T. Beach? Tout l’enjeu est concentré dans cette incertitude qui flotte au cœur même de cette scène et empêche le narrateur et le lecteur d’accéder à la vérité. Ainsi, seule l’identité de Lol est confirmée « mademoiselle Lola Stein l’infatigable danseuse, dix-sept ans, dix-huit ans, de la Potinière ». Mais là encore, c’est une identité qui correspond au passé mais qui ne permet pas de comprendre Lol au présent.
- De plus, le souvenir n’apparaît pas tel qu’il est, c’est une sorte de double du souvenir ou du moins d’éléments qui se sont passés au même instant qui semblent ressurgir comme l’indiquent les adjectifs « contigus », « profilantes » « évanouies » « entrevues ».
- Le ravissement final
- Tout l’extrait n’apprend rien au lecteur qui reste comme hypnotisé lui-même par les méandres du souvenir dans lesquels il s’est perdu en même temps que le narrateur. L’extrait se termine d’ailleurs sur une vision poétique qui nous entraîne vers un au-delà non prémédité comme l’indique la négation « sans le décider ». Au lieu fermé que représente la salle de bal et son cercle succède un lieu ouvert introduit par le complément circonstanciel de lieu « par la porte qui donne sur la plage ». Il s’agit de la plage, du rivage sur lequel se trouve Lol et le narrateur. La contemplation du paysage « regarde les marécages » et la sensorialité qui émane de ce passage « Lol s’est étirée » « Elle s’endort » donnent à cette scène une dimension poétique particulière.
- En effet, le paysage est animé « le soleil, la mer, elle baisse, baisse, laisse derrière elle les marécages bleus ». Les couleurs du soleil couchant et le bleu qui ressort des marécages créent une atmosphère sereine qui ressort davantage grâce à la répétition du mot « baisse » et au phénomène d’assonance en « è » et d’allitération en « s ». Cette lumière contraste avec le sombre de la salle de bal « dans la nuit noire de la salle », « « beaucoup plus obscure ».
- Le paysage est propice à l’abandon des personnages. L’hypallage « sa main s’endort » et la phrase au présent d’énonciation « je dors » installe la scène dans une atmosphère de quiétude. De même, le narrateur cède d’autant plus à l’abandon comme l’atteste la tournure négative « je n’essaie pas de lutter » qui montre combien il s’abandonne lui aussi à ce mirage.