Commentaire composé: Jean_Jacques Rousseau Les Confessions Incipit
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Le texte qui va être l'objet de notre étude est l'incipit des Confessions de Jean-Jacques Rousseau, roman écrit entre 1764 et 1769. Dans cet extrait, l'auteur s'adresse aux lecteurs et leur explique les motivations et le bien-fondé de son projet autobiographique. Ce préambule a été rédigé dans un contexte de grande agitation puisque Rousseau était convaincu d'être l'objet d'un complot (étant vivement critiqué par ses contemporains).
problématiques possibles:
- Qu'est-ce qui fait l'originalité de cet incipit?
- En quoi cet incipit est-il le reflet de l'oeuvre des Confessions?
- Comment Rousseau présente-il les enjeux du texte autobiographique à travers cet extrait?
- Quels sont les enjeux de ce pacte autobiogaphique?
I) Le projet autobiographique
Une autobiographie est un texte dans lequel l'auteur, le narrateur et le personnage principal sont une seule et même personne.
a) L'omniprésence du "moi": le but de Rousseau est avant tout de restituer sa personnalité sans qu'il y ait le moindre doute sur la transparence dont il va faire preuve. "je sens mon coeur" . Rousseau se place sous le regard de Dieu "j'ai dévoilé mon intérieur tel que tu l'as vu toi-même" (ligne 21). Le pronom "je" est répété 24 fois et à 8 reprises sous la forme objet "me", "moi" sans oublier les nombreux déterminants possessifs "ma, mon"... On pourrait vite penser qu'il s'agit d'un projet égotiste et égocentrique.
b) Le caractère exemplaire: Rousseau se présente comme un exemple "si la nature a bien fait ou mal fait de casser le moule". Toutefois, contrairement à Montaigne qui se sert de son expérience d'homme pour réfléchir à l'humain en général, Rousseau revendique sa différence par rapport aux autres hommes et le caractère unique de son projet. "Cet homme ce sera moi. Moi seul", "dans toute la vérité de la nature", "autre" "fait comme aucun de ceux qui existent". Le but recherché est avant tout de mettre en valeur sa personnalité.
c) Le triple "Je": Toute l'oeuvre de Rousseau va être une alternance entre le "Je" du narrateur âgé, le "je" de sa jeunesse, de son enfance et le "je" intemporel de l'écrivain car Rousseau souhaite inscrire son "entreprise" dans la postérité. Le jeu des temps confirme cette triple dimension: l'imparfait "étais" et passé simple "fus, présent "veux" et futur "dirai"
II) La volonté de sincérité et de vérité
L'un des enjeux majeurs d'un récit autobiographique c'est de garantir une véritable authenticité car l'auteur est juge et partie.
a) le jugement divin: Rousseau évoque Dieu et le fait intervenir dans son incipit. Il s'adresse à lui directement "être éternel" et le tutoie "ton" "te" comme si son oeuvre était le double de son coeur qu'il présentait lors du jugement dernier "la trompette du Jugement dernier". On retrouve un univers manichéen: le bien et le mal, le vrai et le faux et l'idée du tribunal. Rousseau est seul à affronter Dieu et le regard de ses semblables "rassemble autour de moi, l'innombrable foule de mes semblables". Toutefois, même si Rousseau s'engage à tout montrer de lui comme le suggère le rythme binaire/ ternaire et le parallélisme de construction "méprisable et vil quand je l'ai été; bon, gnéreux, sublime, quand je l'ai été", il insiste sur les aspects positifs.
b) la transparence: on retrouve dans le texte le champ lexical de la transparence et du dévoilement "intus et in cute" qui signifie "intérieurement et sous la peu" est quasi un pléonasme et insiste sur cette idée de vouloir tout dire et tout montrer. On note aussi l'utilisation de termes et expressions comme "le bien "franchise", "je n'ai rien tu de mauvais , rien ajouté de bon" "j'ai dévoilé mon intérieur"
c) le problème de mémoire: Rousseau évoque la difficulté de se souvenir de tout. Ce qui peut poser le problème de vérité totale lors d'un projet autobiographique. Là encore, Rousseau expose son innocence "j'ai pu supposer vrai ce que je savais avoir pu l'être, jamais ce que je savais être faux". et il parle de ses défauts de mémoire qu'il a comblés comme des recherches esthétiques "ornements". Le but n'est donc pas de tromper le lecteur mais bien de donner à cette oeuvre une dimension artistique.
III) Rousseau face aux autres
a) Le défi aux écrivains: Rousseau présente son autobiographie comme un défi aux écrivains passés et à venir. La réalité montre qu'il n'est pas le seul à l'avoir fait (on pense à Montaigne et Saint-Augustin pour le passé et à Chateaubriand pour les écrivains à venir). Toutefois, Rousseau insiste sur le caractère unique de sa création en utilisant de nombreuses tournures négatives "n'eut jamais", "n'aura point", "jamais d'exemple", "point d'imitation". Il devient alors difficile de contester Rousseau tellement il semble intimement convaincu de ce qu'il fait.
b) le défi à ses "semblables": les verbes de pensée "ose croire" "connais" "si je ne vaux pas mieux" viennent montrer la singularité et l'évidence du projet de Rousseau. D'ailleurs le terme "autre" prend ici un double sens. L'oeuvre de Rousseau est différente parce que son auteur est différent. Il n'hésite pas à se placer comme victime d'un acharnement à son encontre "qu'ils écoutent mes confessions, qu'ils gémissent de mes indignations" qu'ils rougissent de mes misères". A travers ce rythme ternaire renforcé par la gradation des verbes, Rousseau montre qu'il avance sans crainte, qu'il n'a rien à cacher mais que les autres qui l'accusent ne pourraient en faire autant comme l'atteste l'emploi de la proposition subordonnée conjonctive hypothétique "s'ils l'osent".
c) le défi à l'humanité: Rousseau lance un défi à tous. Il n'hésite pas à tutoyer Dieu et à s'adresser à lui directement, il utilise l'impératif pour s'adresser à Dieu "rassemble" et le subjonctif "Que chacun d'eux découvre à son tour son coeur". Il va même jusqu'à employer une tournure rhétorique qui n'est pas s'en rappeler les tournures bibliques. En effet, la dernière phrase: "qu'un seul te dise, s'il l'ose, je fus meilleur que cet homme là" fait écho à l'épisode biblique de la femme adultère dans l'Evangile lorsque Jésus dit aux accusateurs "Que celui qui n'a jamais pêché lui jette la première pierre".
Cet incipit est grandiloquent et insiste sur le caractère unique du projet de Rousseau et de Rousseau lui-même.